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Migrations (Serge Bourquard)

 

Sur les lèvres noires de l’antre gît couchée la motocyclette en feu
A son côté pour la veiller ce corps calciné sous un réverbère aveugle

La cafetière est fumante le pain est doré

Le fourgon démembré est perché sur un amas de tôles tordues et de béton brisé

Un sucre dans le bol

Devant la façade éventrée de l’école sans couleur les chenilles d’un tank en lambeaux
Et dans la rue déjà ces cortèges de mains tendues et de drapeaux agités au vent de la colère

La cigarette se consume au bord du cendrier

Plus loin au long du muret sept cadavres gonflés de moutons égorgés
Une paire de chaussures sans lacet orpheline de ses pieds
Elles n’attendront pas que l’herbe soit repoussée

Hiver en plein midi
Douce musique chaleur du jour naissant.

Semelles usées par tant de marche portant sur leurs talons des fardeaux dérisoires
Détrempées par la pluie aspirées par la boue et chassées par les chiens
Elles trébuchent en silence
Le savon est doux le rasoir glisse en ronronnant
Séchant à peine sous la toile enfumée par un sommeil animal
Parfum sous les aisselles

Au réveil elles suivent un chemin pierreux sur des montagnes froides
Gagnent le marais et les vertes prairies aux grilles inaccessibles
Champs de mines barbelés coupants larmes d’enfants effrayés

Les empreintes de chaussures ne seront pas au fichier

Voiture climatisée attente au feu rouge pointeuse
Papiers contrôle check-point matraque file camp attendre eau pain

Dormir peut-être

Passage clouté lumière au bureau machine à café

Un million de pas encore
Un million de pas encore

La fille au bar ce soir est jolie
Et le soleil de minuit sur les lacs endormis épicéas et bouleaux mangés par les moustiques
Avec cette eau partout qui ignore nos déserts la glace en quelque creux

Bière pression nouvelles du jour la télé en bruit de fond

Le rouge velours des bois sur le cheveu des lichens
Répond aux façades alignées sur un chenal d’eau noire
Barques au râtelier bottes en quarantaine la chouette rit

Courses au supermarché devoirs d’école

Les pieds noirs et meurtris caressent la pierre chaude du foyer et mille couches de laine
Ne sauraient envelopper les épaules décharnées
Il y aura la neige le silence et le feu
Les nuits blanches bien plus sombres que nos ciels étoilés
Le gel qui fait chanter nos barbes englacées.

SB

 Un dessin du Jordanien Osama Hajjaj sur la crise des migrants, réalisé juste avant son départ pour les Rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caen

Tag(s) : #Dans mon grenier, #Serge Bourquard
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