Marcel Moreau
(vendredi 10 décembre 2010)
Cet été, par hasard, alors que j'étais venu passer quelques jours dans ma famille, je suis tombé sur un livre laissé là par un visiteur distrait : "La jeune fille et son fou" de Marcel Moreau... Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur.
J'ai ouvert le livre et je n'ai pu me résoudre à le fermer avant d'en avoir savouré chacune de ses pages.
Dés mon retour j'ai couru chez mon libraire et j'ai acheté tout ce qu'il avait de Marcel Moreau (c'est à dire si peu compte tenu de l'importance de son oeuvre), Quintes, L'ivre livre, Sacre de la femme, Discours contre les entraves, Une philosophie à coups de rein, Nous amants au bonheur ne croyant... et depuis, je suis envoûté.
"Quand je t'ai rencontrée, je me sentais comme fatigué d'être allé si souvent de la passion à l'immolation. Je me représentais en ruines, ruines sur lesquelles finirait bien par tomber la douceur du soir. Ce qui restait d'un château de tous les excès où les souterrains avaient eu plus d'importance que les tours. Toi, tu as su gommer l'image dévastatrice. N'en demeure, quelque part, que la douceur du soir, dans celle maintenant, de tes matins. Je ne suis plus fatigué, je suis seulement abasourdi. Tu rends l'amour heureux, ce qui l'empêche, insidieusement, d'être fou.
Fou, il l'est, cependant, mais d'une folie avec du bonheur dedans, comme si c'était possible. Une folie à petits pas, pour ne pas te renverser; à petits feux pour ne pas te brûler; et même dans ses petits souliers, pour ne pas t'effrayer, comme si cétait concevable; seulement concevable. Une folie qui aurait peur de te faire plus de mal qu'elle ne m'en ferait à moi-même, qui aurait des scrupules, des limites, une éthique, une retenue, ce qui ne se voit jamais..." (Marcel Moreau - La jeune fille et son fou)
"Les mots sont de brefs corps galvaniques en mouvement, et imprévisibles, avant que d'être les fixateurs de tel ou tel moment de conscience. Souvent, ce sont des aventures du sens se mouvant à l'intérieur de la recherche de ce sens. C'est ainsi qu'un beau jour, mes mots d'amour s'en sont allés sous ses fenêtres... Je ne saurai jamais quelle sérénade ils lui chantèrent. Elle avait ouvert ses fenêtres, et leur a jeté une échelle. Ils ont grimpé jusqu'à ses yeux, et peu après... Elle m'écrivit qu'elle les avait lus danser. Lus au lieu de vus. Il parait qu'ils ont dansé longtemps, comme ils dansent dans mon corps qui, lui, ne sais pas danser. Mais quelle danse avaient ils dansé, cette fois là, pour qu'Elle m'écrivît des choses qui mettaient déjà ses pas dans les miens ? Quand elle est venue chez moi, c'était hier, il y avait du bal dans son regard, dans sa voix, dans ses mains, et moi, je me sentais tout enlacé par ce quelque chose d'Elle qui m'emportait dans son quelque chose de nous.
Nous avons fait l'amour tout de suite, nous l'avons laissé se faire entre sa vie dansée et la danse de mes mots, entre le doute qui me saisissait quant à mon renoncement à l'amour des femmes comme à l'écriture de cet amour, et son absence de doute, à Elle, quant à l'amourosité de notre rencontre, ce qu'elle exprima de bien troublante façon, au bas d'un de ses dessins : "Sans vous connaître, je m'entraînais à vous aimer".
(Marcel Moreau - Nous amants au bonheur ne croyant)