Si je n’étais né homme, moi aussi
Mon destin eût été celui de l’arbre :
L’arbre au soleil comme sous la pluie
Reste réconcilié avec ses racines
Et ses feuilles. Il connaît
En même temps la nuit et la lumière
Sans mourir de sa connaissance.
Sa dialectique le pousse avec force
Vers lui-même et sa haute vérité :
Et lui laisse partager mille balcons
Avec le soleil, le vent et la rosée.
Il a la même joie pour écouter
Le rossignol ou l’oiseau qui porte
À peine un cri dans son gosier.
La course des nuages apaise
Sa nostalgie des grandes traversées
Et par les oiseaux migrateurs
Son service postal est bien assuré.
L’arbre sait que le héros de la vie
N’est pas seulement l’homme
Qui attaque à l’aube une caserne
Ou qui sait tendre une embuscade
Selon toutes les règles de la guérilla
Ou qui peut en un jour
Couper mille arrobes de canne.
L’arbre est un savant jour et nuit
Absorbé par mille métamorphoses
Tout en étant mille poètes à la fois
Malgré le bûcheron, la foudre et la sécheresse
L’arbre n’est jamais un loup pour l’arbre.
Il y a peut-être un arbre en vie dans mes os
Et Nelly et la pluie sont seules à le savoir!
(René Depestre, Poète à Cuba, 1976)