À tous les amoureux de la Semois et des bords de Meuse, et en particulier à Florence Noël et à Pierre Gaudu pour ce qu’ils nous partagent de leur amour de la nature.
Je me presse d’écrire, car avant le chant du coq il me faut dédicacer ces images. Au-dessus de moi, de la Roche aux Corpias jusqu’au Roc la Tour, le ciel est gris comme l’habit d’un vieux religieux en exil.
Quand j’étais moi-même moine à Laval-Dieu ou à Orval, ma mémoire me fait défaut, j’ai trouvé refuge ici même, en quelque ermitage parmi les baraquins ; j’y ai vécu des mois en compagnie des enchanteresses de pierre, ces sœurs silencieuses de la fée Morgane.
J’ai tenté en ces lieux magiques d’écrire mes souvenirs avec des mots purgés par l'écorce de bourdaine et l’air revigorants de sous-bois plein de fraicheur.
Ici même, les mots jaillissaient comme des paysages de légende.
Oui, l’écriture se dit comme des méandres d’eaux grasses qui sont porteuses de sens. Imaginer un paysage comme « un visage », comme « une lecture » qui relève d’une (dé) marche, où les mots seraient des associations de formes et de couleurs ; tel un grand nuancier vert et gris collé avec la sève même des bouleaux pubescents.
Dans la boucle de la Meuse comme dans la bouche des bardes, les légendes se tissent autant qu’hier, et Monthermé aujourd’hui encore se livre sauvage à nos regards médusés par ces mégalithes sans âge.
Le massif des Ardennes est un grand grimoire !
Le parc naturel déploie sa culture comme les tourbières des Hauts-Buttés étendent leurs étangs vaseux. L’étant à fait son être de ces lieux, pas pour « faire », mais pour « être » et produire de l’être lui-même comme on produit du sens !
La magie des lieux opère toujours, du Château du Diable à la Roche à Sept Heures, dans de tels paysages intemporels, les légendes prennent chair pour prendre mot. Ici même, un poète de 7 ans nommé Arthur chevauche le cheval Bayard, parcourant les rives incertaines, il rêve tout haut et pour de vrai traverse Charleville comme Avalon et Monthermé jusqu’au plus élevé piton, il recourt à la magie de Merlin et à l’alchimie du verbe. « Forêts, soleils, rives, savanes … » tout concoure à l’évasion de l’enfant sauvage ; et tous sont là à son appel : le roi Arthur, les fils Aymon et Merlin l’enchanteur au chevet de gente-dames médiévales. Entre les pierres dressées et les tables de poudingue.
Les pensées séduites par le pouvoir féminin des roches et des forêts, de la montagne au lit de la Semois, tout s’emmêle de mots et d’imaginaire, de symboles et de fables normandes ou de légendes anglo-saxonnes…
C’est toute l'âme et l’esprit celtiques qui s'expriment et traversent la forêt !
Alors, qu'à quelques méandres de Charleville-Mézières où ma fille Justine éveille mon petit-fils Clarence à la vraie vie ; sous les aulnes glutineux, j’écris avec l’encre du regard, j’écris sur du papier cuit comme on cultive sur brûlis ; et de temps à autre sur un tapis de mousse à l'odeur de menthe sauvage, je repose ma tête fatiguée.
C'est sûr et certain, entre la prêle des champs et les champs sémantiques, je vous l’assure, j’ai définitivement opté pour les marais d’Hargnies, pour les bords de la Semois et les rives de la Meuse; j'ai fait mon choix pour Roc la Tour et la croix Gillet, pour la source et la vallée de l’Ours et pour les moulins de Thilay… avec des images et des mots semés au hasard des fagnes et des rocs, qui incarnent l’espace et le temps, quand la nature elle-même s’écrit avec l'encre de la nuit sur des éperons de granit.
Roland Reumond