Le plus beau poème
C'est un feu d'orage cassant les drapeaux d'un
hôtel de ville
C'est la main posée sur une plainte amoureuse
Le calme du moribond qu'on a rasé de frais
La nuit farouche des bourreaux
C'est le vol sanglant d'un rapace dans le couchant
Le poing gonflé des étamines
Le plus beau poème c'est
la lune écrasée sur une cathédrale repliant
ses ailes pour mourir
C'est le bal d'un chat noir maîtrisant le silence
Un bataillon d'enragés volontaires la gueule éteinte
à coups de vieux pavés
C'est le grimoire abscons d'un tabellion bétonné
d'importance
Le plus beau poème Seigneur
C'est une main chèvrefeuille étoilant une haie
fébrile
C'est parfois le matin dans un tourbillon de fougères
le bonheur simple qui m'étreint en dénouant une fille
allongée sous des cordes de soleil blanc
C'est un poussin neuf c'est l'océan du bout du monde
livrant sa fleur de solitude
C'est l'hirondelle fuyant les démons de l'automne
C'est la noire passion d'un légionnaire en tenue
de campagne
Le plus beau poème c'est un prisonnier dessinant un
sourire sur lequel bouge encore l'aveu tremblant
d'une femme
C'est l'arbre musculeux qui rayonne dans la terre
C'est le rire furtive lumière
aux yeux glissés sur le miroir d'une adolescente
qui se peigne en hâte
C'est tout ce qui pourrait faire tomber des usines
les cris de morts le glas du mâchefer et du vent sale
Le plus beau poème
c'est ton épaule ouverte qui pleure doucement
sous ma lèvre lente
Moreau du Mans
(Poèmes pour une mort tranquille - La nouvelle tour de feu)