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Je veux d’la poésie qui marche les pieds nus
Et crie le poing fermé, à s’en casser la voix
Le prix du sang perdu des damnés, des sans-droits,
D’la poésie qui pleure et qui dort dans la rue.

Je veux d’la poésie qui mouille sa chemise,
Éreintée de sueur autant que de colère
Et s’écrit main calleuse et cheville ouvrière
Au coin de l’établi, d’une danse insoumise.

Je veux d’la poésie qui brule ses papiers
Et marche tête haute en chantant ses slogans,
Qui écrit le pas libre et en sortant du rang
Pour pisser d’un jet dru sur tous les barbelés


Je veux d’la poésie en carnet à spirale
Écornée de voyages et tachée de café,
D’la poésie de poche aux élans familiers
Accoudée au comptoir et les ongles un peu sales.

Je veux d’la poésie qui rit beaucoup trop fort
Et d’un rire d’appétit qui ne se cache pas,
Qui pète et rote à table et mange avec les doigts,
D’la poésie qui joue à l’envers du décor.

Je veux d’la poésie qui roule sous la table,
Enivré du bonheur d’être avec les copains,
D’la poésie qui sauce et qui finit son pain,
Qui lèche son assiette en élan délectable.

Je veux d’la poésie qui s’endort au soleil
Au milieu des enfants qui jouent dans le jardin,
Qui lave la vaisselle en se brulant les mains
Et la laisse sécher dans le chant des abeilles.

Je veux d’la poésie qui torche les bébés,
Qui fout les doigts dedans et qui sent le caca
Puis fouraille du nez au ventre délicat
Pour cueillir le bonheur qui sent le lait tourné.

Je veux d’la poésie dont la gorge se noue
Quand l’entre chien et loup se glisse à la fenêtre
En braises crépuscules aux allures de peut-être
Et qui s’offre l’oubli de tomber à genoux.

Je veux d’la poésie qui pétrit le vivant
Comme on pétrit son pain, d’une main généreuse
Émiettant son levain d’une course fiévreuse
Et qui s’essuie le front au soir en l’enfournant.

Je veux d’la poésie se coltinant la Vie,
La prenant à plein bras en désirs incarnés,
Qui bande tous ces vers en volcans embrasés
Et y fourre la langue et puis le sexe aussi.

Je veux d’la poésie qui ouvre grand les yeux
Sur le feu et l’abîme où le corps exultant
Éjacule ses mots de foutre et de diamants
Lorsque la jouissance engloutit tous les feux.

Je veux d’la poésie qui s’endort au matin
Les yeux plissés d’embruns d’insomnie volontaire,
Où les mots tachés d’ancre en folie solitaire
Acceptent de mourir en murmurant : « enfin »…

Alors si vous craignez pour vos parquets précieux
Au vu de mes souliers crottés de mots vivants
Et de mes bras chargés de colère et de vent,
Fermez-moi vos salons et détournez les yeux.

J’irai slamer mes rimes à Cité que veux-tu
Et écouter Léo éructer Baudelaire,
Arpenter du Verlaine au creux des réverbères
Hanté par un Villon amoureux des pendus.

J’irai taguer vos murs en crachats mélodieux
Et conter à vos chiens le temps qu’ils étaient loups
Puis j’irai m’endormir au secret le plus doux
De trop aimer la Vie avant que d’être vieux…

Jean-Luc MOULIN

Tag(s) : #Jean-Luc Moulin, #Dans mon grenier
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