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Les passeuses


LES PASSEUSES

La ville où j’entre en passeuse…
 
Sur la route de pierre, je traîne le gris de mon âme, rasant le corps friable des murs de la ville. C'est elle qui pleure comme elle perd sa peau d'eau, des larmes de papier aux gémissements de mort, c'est elle qui refuse l'écriture du temps dans ses veines aux traînées d'orages, aux labyrinthes de lueurs molles et lentes, aux couloirs coulés mouillés de tristesses passées.
Je suis la passante, la patiente, la passeuse de mémoire, l'infirmière et le fantôme au pied du jour, je vis là, au seuil du mystère, j'erre entre les pierres, je vais vent et figure d'ombre entre les choses et l'invisible, je trompe l'instant quand la pluie me dérobe la lumière. Je frôle le monde mais je sens ce qui s'absente. J'enroule sur mes épaule le rôle du mon être perdu, et j'enfouis la toute petite vieille en moi qui pleure comme un chat noir au fond de mon ventre. Je diminue la musique qui s'enfle dans ma tête et dicte des pensées-fleurs à mon âme pour cesser de souffrir. Je souffre. Ce n'est la faute de personne. Le monde existe avec violence, et je ne reçois que son impossibilité, on me dit qu'il est là, alors je laisse ce corps se glisser dans l'inconnu et vider sa carcasse dans un état de rêve. Somnambulante, je trouve les traces d'un langage oublié, une nostalgie douce comme une plainte aux teintes patinées, je suis. De suivre. D'être? Que reste-t-il? Le corps est bien vivant, je perçois son dessin dans le reflet du miroir, et ressens sa folie dans sa chair changeante. Je modifie sa force, son épaisseur, sa substance. Je ne sais comment influer sur la couleur de sa réalité intime, ce qui l'anime. Vile, sale, la solitude. Il y a le corps, ce corps de moi, mon corps, devant l'autre corps, de la ville. Il n'y a que des corps, des successions perdues de corps, entre eux : l'abîme. Il y a l'amour, vagabond, beau brouillard, fausse caresse sur la ville. Il y a le chant délavé des malheureux pris entre les corps. Semant une panique angoissante au sommet du désir. Il y a ce qui ne finit pas d'être, des mots prisonniers de corps en suspens, des signes de corps avant qu'il ne s'agisse du corps véritable, celui-ci existe-t-il? Je n'atteins que par instant ce qui se sent d'un corps, puis je disparais. Le mot devine, dérive. Il est le vrai instrument entre nous deux et je monte là où je ne dois pas, il fait froid dans l'antichambre, je me ronge de chagrins. Je suis folle, sensationnellement. Je pense à mon psycarnalyste qui me fait asseoir sur la chair du vide englobant et soulève la peau de mes questions où il touche le piano des couleurs. Il dit avec ses mots de sang ce que la rose tait. Il dit que l'eau des fleurs est larmes de crocodiles, il dit et j'écoute. Je veille sa conscience. Je joue du silence de prose entre mes mains fêlées de demoiselle de porcelaine.

La DEMOISELLE DE PORCELAINE.

Oui, celle-là! La fée belle la bête abordée abandonnée tant d'hommes autour d'elle, débordée de corps sans le sien, à perte de corps, vaguant, papier pour corps, jusqu'au désespoir. Dis-moi la bête, si cela pleure ce qui ne se vit, dis-moi qu'elle est bien vivante dans...Le creux de ce qui s'exprime de travers. Si cela est. Je poursuis. Je ne guéris pas d'écrire, j'héroïse mon rôle, je me défends de l'obscurité. Je hurle dans l'agonie de la pensée. Je crie et devise l'inconnu. Vite. Il faut faire vite. Se jeter avant que l'on ne se referme sur le vide quotidien. La ville est un si tendre piège, le refuge des fous, refus d'être, pourtant folie. Dites-moi que coule tout le sang, et aussi, si tout l'oxygène vole par les pores de mon cher poids de mort, dites-moi que cela va dans la ville. Je cède tout. Je me décorpore, je m'évapore, je sors. Cela vaut la peine???Ensemble moi et le corps et l'autre qui tend sa main noire, et tombe sans arrêt dans l'ombre, me retiennent. Mon corps va tomber. Croyez-moi, je le laisse à la ville. Que cela vaut son poids de béton et de cendre et de pétrole! Mon ombre est lourde et coule dans la pierre quand vécue à nouveau au seuil d'un sentiment, quand l'espoir dit tout au souffle d'un corps de bord. Au prisme de la tentation d'être, erre un moi en indéfinition, en perte de sens, désanimé.
 
Halètement de la bête au vide
 
Je promène mon monstre à peau de souci. Ma peine aux pelures d'âme glissant dans le vide, ma chair en perte de cellules amoureuses au fléau des heures creusant des tunnels dans mon corps en mouvement, des chemins éterrestres, des couteaux transparents d'air, des sentiers veineux où s'enfonce Vénus dans sa robe de poussière, décharnée, espèce d'ancêtre des ombres où se glisse le souffle d'un vieil amour, dansée, au tissage d'os, de plumes, de mauvaises herbes, allant, vaincue, interrompue de halètements lourds, sale, souffrant de songes malades, de cauchemars, de pleurs.
Je suis la plainte de l'amour mort, la monstrueuse menée jusqu'à elle-même, le cri fait femme, dessinant la chair de la blessée. Je me suis enduite de charbon, jusqu'à mon âme gangrénée . C'est le corps pourri de l'amour défait. Je suis la racine dont on fait les philtres, je suis l'avant et l'après de l'amour, je suis l'orgie gémissante, l’origine en larmes, la belle jouisseuse en transe, je suis ce qui en vous se hisse et s'efface. J'erre en pôle perdu, à perte d'aiguillage, et vais tel un spectre des vieux mots, chercher l'avant où la pensée se traîne. Je suis la bête de la fille, l'animal jeté dans les béances du sens, je déteins sur l'infini, je peins l'univers avec ma bouche dévastée d'aimer encore ce qui a fui. Je me manque au divisement des choses, la bête réunit tout et mêle avec sa bouche ce que la boue genèse. Cela va, la pierre se heurte à nos courses d'abîme, le désir transcende nos désespoirs depuis. Dans la panse de nos idées gémit l'autre, un cristal sculpté de larmes, c'est la pierre. Le corps, le puits. Corps au conduit de suie, dans les couloirs de l'enfer, endormie, dedans bat encore la pulsation lente, celle d'Eurydice, se mouvant à peine, allongée sur la queue poilue d'un cerbère, âme meurtrie au coeur de l'abîme.
 
Elle courait avec un point noir au centre de son corps
 
Elle courait avec un point noir au centre des poumons, avec un petit trou d’abîme dans le corps, par où passait l’air, par où s’échappait un peu d’elle. Les oiseaux venaient y picorer des absences, les voyeurs se retrouvaient en face d’une innommable faille où se lisait la beauté de l’effroi, la séduction épouvantable du vide, la beauté d’un indicible. La fille ne savait comment cacher ce creux qui la traversait de part en part, ce cadre, cet écran-fenêtre rendant les autres muets. Elle courait pour échapper à ce vide qui la suivait et plus encore, qu’elle menait avec elle, faisant partie d’elle, présence-absence dans son propre corps. A travers, les paysages de sa vie changeaient, intercalant des scènes de ville, de campagne, de silence, de fête, de joie et d’orage. C’est un peu comme si elle traînait son propre film à l’intérieur d’elle-même, sans pour autant pouvoir le diriger, auteure victime de son œuvre, condamnée, attachée à celle-ci, intrinsèquement nouée à sa vie. Dans l’obscurité, cette béance, cette seconde bouche interrompant la continuité de son être par la rupture faite dans le chemin de la peau, cette déchirure dessinant une blessure profonde, la conduisait vers des pensées plus vertigineuses encore. Son corps était transparent, sur cet espace effacé de sa personne se lisait la possibilité de l’infini, la folie, le néant qui l’envahissait jusqu’à la détruire. Son corps était devenu métaphysique. Puis la fille s’arrêta. Se demandant ce qu’elle fuyait, lui était apparu, dans un moment de grande lucidité cette pensée : « je ne peux me fuir moi-même », « je suis ma propre échappée, inscrite dans mon corps par ce trou noir que je porte…Ma seule fuite possible est ma mort… ». « Etre immortelle et mourir » telle était son idée fixe. Alors elle s’accroupit, ramassa des feuilles, des cailloux, gratta la terre avec ses ongles, serrant des poignées de sable, de poussière, rassembla tout ce que sa main rencontrait, et en remplit le trou noir, tissant son nouveau corps, refermant la plaie, et au-delà, la liberté qu’elle signifiait. Elle avait laissé son corps se refermer sur lui-même. Elle avait enfoui la question qui trahissait l’inquiétude de son âme, et comblé ce manque qui la faisait souffrir, elle n’avait su apprivoiser son vide, parce que petite, personne n’avait su lui dire, ni quand ni comment, tout avait commencé...
 
Dans les entrailles du monde
 
Dans les entrailles du monde, une guêpe se débat. S’agitant encore dans le filet strié de sa proie, l’araignée la regarde satisfaite.
La guêpe grosse et jaune dans le salon d’été tournoie et paraissent vivre les rayures de sa robe de sel. Les autres guêpes sont transparentes et le monde vibre de tensions sonores que l’espace dissout. La guêpe est prise dans un brouhaha imaginé par elle. Dans le labyrinthe de dentelle, elle entre en transe.
Je marche sur des punaises, du charbon, des baies rouges, des fourmis aiguisées comme des clous, je marche seule égarée sur la terre. Guidée par l’instinct de vivre, je vais sans repères là où je ne peux que me tromper de lieu. Je ressens en moi l’extérieur retourné sur l’intérieur. Le même espace replié sur lui. Pour voir, dedans et vers. Mes yeux ouvrent l’espace.
Une guêpe se débat dans le miroir de la pièce. Dans le miroir. Sans tain. Une guêpe se débat.
 
L’ange écartelé
 
Sur les draps de l'accouchée gît un corps étrange qui se débat. Il fait des mouvements vers la terre comme s'il voulait descendre et sur sa face une cicatrice dit qu'il veut qu'on achève ce qui vient de commencer.
Je dédie mes heures à penser la mort.
Descendez-moi du crépuscule
j'ai joui sur la tendre après-midi et brisé le miroir de l'univers, je désire tant que le centre de mon corps aimante le néant. Je pleure. On écartèle des mots pour dissocier la pensée de leurs pulsions internes. J'écarlate d'aube. Je sépare l'aurore, j'ouvre les veines du jour. Ton absence rompt un oeuf qui roule sous la lune.
J'agonise, je cherche ton âme, je vole ton souffle en baisant ta bouche, je suis ta dévoreuse. Je te mange et t'incorpore. Je nous mets bas dans nos orgies funèbres. La chair se retourne sur des organes lavés, la nudité dégoûtée se refait les entrailles. On bouche le désordre d'objets terrestres, ça remue dans les ventres. Vainement les corps se dispersent. Les astres épineux nous cisaillent des histoires gelées où la poésie s'insinue, mystérieuse. On partage le pain et l'eau. Puis on coud les blessures parce que le silence s'engouffre entre les parois de peines souterraines. Les corps sortent des âmes, affamés de promesses. Les mots se resserrent et une troisième moi, pleure.
 
Le chagrin ou le néant
 
Le chagrin ou le néant…J’embrasse de tout mon corps l’abîme, ma tête dépasse d’un centimètre la pente vertigineuse où je suis entraînée. Les larmes tombent dans la pièce fermée de mon crâne. Le néant vante l’espace infini et le temps sans limites. Le chagrin m’attire à lui avec ses mains de vieille qui tremble. Le néant, dit gouffre, dit abîme, dévaste tout, efface avec fougue, arrache avec violence la vie et ce détail de l’être en elle. Le chagrin écrit l’ombre de la vie avec ses ongles ensanglantés sur le papier-filtre de mes pages froissées. Le silence dit l’antre angoissante où le choix pervertit ma respiration et la respiration ma pensée. Il dit l’intervalle entre le chagrin et le néant. Et comme aucune réponse n’a été donnée au sphinx, il me paralyse au seuil de moi-même. Y-a-t-il une juste réponse ? Le mot ne comporte que le corps abstrait d’une idée crachée dans le mouvement absurde d’une erreur. Le monde serait-il la conséquence d’une erreur ? On parle de faute…Mais s’agit-il d’une faille ?
Le chagrin et le néant ? Le chagrin du néant ? Le néant du chagrin ? Le chagrin ou le néant ? Je ne nie pas le choix, et que le choix est liberté. Il faut être brave pour choisir. Dans le silence s’est glissée la poésie. Et la poésie recommence à me dire, ce qui m’interrompt sans cesse, elle va avec la philosophie et jette de l’encre dans mon sang, réaction poétique du néant, ce qui signifiera que le chagrin et le néant sans moi emporteront tout…
 
Ma lépreuse à la lettre écarlate
 
Ma lépreuse de dentelles, ma couveuse d'amertume, laisse-toi me guider là où l'issue est la voile déchirée du visage de nos anciens, te couper du cordon dérobé de nos chairs bleutées d'encre à sang. Je suis la sans visage, la désireuse immondément délicate et je t'offre les mains tremblantes ma transe de verre, mon âme en pièces, mes guêtres de silence. Je goûte sur ta plaie blessée au lait rouge de ton sang fruité. Ma laide, ma spectrale aux odeurs de marchés d'antiquités, au goût de moisissure, ma grise sans squelette, je te dessine sur le pavé de mes pensées, je vais avec toi, sur ton passage je ramasse des mots jetés sur l'ennui, puis nous sortons ensemble, sans le savoir nous sommes notre double je. J'aimerais faire ton portrait mais tu m'as prise pour une ombre et ne me regardes plus. J'ai déjà disparu sous tes pas.
 
Pieds blessés étoilés
 
je marchais, pieds nus, sur des astres dans l'obscurité où veillait l'âme du monde déployée sur l'aile du ciel. Les pensées perdues formaient des gammes harmoniques tintant dans l'espace, et mes pieds jouaient sur un grand piano aux touches d'accords des sensations. Il fallait avancer avec soi, dans l'émotion de son être intime, ou, s'immobiliser sur l'infini. Ou tomber. La blessure amenait des souvenirs de prodiges de rêves déchirés par leur passage dans la vie. Des traînées d'étoiles fugaces pleuraient de la lumière à travers la voie lactée, laissant des traces, signatures et cicatrices sur le voile génital emporté par les cendres de l'obscurité. Le poids des choses se laissait refléter sur la scène du songe, et reine je souffrais du plaisir de l'ignorer. La douleur dépassée je volais. Je flottais. Je trichais sur le poids des choses, et voguais en somnambule dans l'autre monde fait mien. Je m'emportais pour vivre. Là-bas, évanouie, évanescente, m'écrivant au fil de mes pas, écrasant des perles de lettres cassées, hors du monde, et n'importe où: enfin dévoyée.
 
Princesse aux pieds d’argile
 
Petite princesse à peine née, fée de la bouche blessée, dis-moi, oui, dis-moi où tu vas. Petite respirante douce douloureuse aux pieds de pierre de lune, au corps de lumière valsante, teintée d'âge toute en frissonnement de feuillage au rire rêvé de rivière, fille aux tremblement d'aube, diamante de l'amant désaimée, fissurée d'espoirs, petite esquissée pastel en déchirure d'azur, la vie dessine en toi le corps de ce qui aura disparu. De ce monde on ne saura plus rien. Apeaucalypse. Tu glisseras dans le gouffre des images et nous passeras le film de nos vies. Tu diras le cygne sur l'eau gelée du lac, les arbres découpés dans les ailes de la neige, le coton du papier, la chaleur d'une fleur rouge, d'une couleur ouverte sur la nuit, le bras, l'oeil, les longs déserts de Dieu et le jour plié sur le corps du passé. Tu nous ouvriras la paupière avec ta voix d'argile, et tu approcheras ton haleine de lait pour réveiller l'enfant mort en nous. Tu nous projetteras des souvenirs sur la peau de la lumière pour nous rappeler l'illusion dans nos âmes d'une vie sur l'au-delà du monde. Tu dévoileras le linceul de nos fantômes en perte de corps, tu nous présenteras l'émotion vive, messie de nos désespoirs. Enfante sortie de la naissance par la porte de la mort, tu iras par nos regrets sortir ce qui précédait tout, caresser nos sommeils, donner le baiser à l'agonisant, tu iras aussi mordre le mourant aux battements lourds. Tu nous réveilleras. Tu seras la mignonne la fragile et triste, en soeur jumelle de la fille de vaisselle tu fleuriras sur le béton. Tu rougiras sur nos peines. Tu nous piqueras, d'un léger venin sous les paupières et soulèveras la dernière brume sur nos cieux de plomb, tu chanteras sur la misère des siècles et nous brûleras avec fièvre le bout des lèvres d'un murmure. Viendra alors dans un flot de larmes, le premier mot.
 
 
Ulrich, l’amant ou le songe
 
Ulrich, dans le palais débordant de chairs dorées emportées sur les plateaux d’offrandes, soupirait, respirait, haletait. Mon amant rouge en peau de prince amené au seuil de mon âme, cherche mon corps, mon vrai corps. Ulrich ment. Il ne connaît pas mes rêves. Il danse avec le mensonge et les mille pièces du royaume. Il triche avec moi. Moi je m’échappe, je vais d’un salon à l’autre, je vole des objets pour mon monde de l’autre côté de mes songes, je prends le train toutes les nuits, roule sur des rails de cuivre par des chemins de sable roux et ferme les yeux, longtemps, avant d’arriver là où l’on m’attend pour reformer la ville oubliée. Je trompe Ulrich. Ulrich s’en fiche. Il se nourrit d’illusion. Sur la place de ma ville, tout est prêt, les hommes et les femmes vivent et marchent, et sentent. Ils aiment le sentiment de la ville. Ils disent: “la ville est musique”, ils ont des pensées qui longent les murs, et les murs leur parlent. Le temps est si lent qu’il n y a rien de plus que ce long mouvement d’être auquel ils se balancent, et la solitude est d’une couleur si claire et si suave que l’on y vit amoureusement. Je ne sais si j’irai vivre là-bas, embrasser les rails comme un serpent de braise dans ma pensée, et quitter Ulrich. L’amertume court dans ma tête tel un venin lors de mes voyages et je ne sais plus bien si je n’ai pas un peu plus que je ne l’avais imaginé, aimé Ulrich.
 
La petite amoureuse
 
La petite amoureuse aveugle, jouait dans l’escalier et trébuchait dans l’émotion allant et venant en elle, se jetant contre les parois d’un monde qu’elle ne comprenait pas. Elle a dit « Aime moi» le jour où elle est née et puis a pleuré si longtemps après ses premiers mots qu’elle en est presque morte. Elle a continué. Elle a dit « aime moi », « aime moi » si souvent que dans ses chutes son cœur se secouait jusqu’aux crises dangereuses où la folie menaçait de l’étreindre. La petite amoureuse ne vit plus, car vivre et voir se confondent dans l’espoir blessé, et qu’un jour, bercée par l’oubli, tâtonnant sans raison, elle s’est absentée du monde seule avec son propre écho.
On entend dans les rêves parfois sa toute petite voix qui traîne d’un inconscient à l’autre en soupirant d’un ton las, « aime moi, aime moi, aime moi… »
 
L’ordre des choses
 
Il y a forcément un ordre secret des choses, un ordre secret dans tout effort que tu déploies. Il y a certainement un ordre parfait sous les actes que tu commets. La vie est une exécution esthétique exacte, et tout choix est guidé par les étoiles. Nous sommes un désir animal de l’univers_ une perversion de la Beauté_ un silence modifié par des pulsions contraires_ une série de contradictions pour retrouver le commencement. La vie se détachera, fugace, de nos corps. Nous culminerons à son extinction. Nous modifierons les détails du monde pour précipiter sa fin. Dans un profond silence nous cesserons d’exister. Nous baiserons l’infini, pour retrouver le début de la mort où tout est peu de choses, où : l’Amour est Tout, aura été Tout.
 
 
Le rêve de l’araignée
 
Ils sont une nuée d’ombres derrière moi, des suiveurs, je suis leur guide sans l’être, je porte le petit chien dont l’on doute qu’il soit vraiment chien sinon chien-chat, trouvé abandonné sur le sentier. Petit monstre vulnérable dans mes bras, il est triste et se soumet bientôt. Il ne se débat déjà plus, il pleure. Nous avançons progressivement emportés sur un chemin au milieu de la vaste forêt. Le chemin s’inscrit comme une fente lumineuse, une abstraction dans le corps des bois, une ligne éthérée irisant la route à suivre. Fine telle une raie sur le crâne échevelé de la passion. Nous marchons. A gauche et à droite : des lianes, des lacs, des arbres touffus, des animaux aux grognements indéfinissables, des craintes ouvrant la voie des plaisirs, des fantasmes, de dangereux insondables. Mes suiveurs et moi sommes inquiets pour notre chat. Il est maintenant bien un chat à la lumière. Nous voulons lui trouver une famille.
Un ours au loin apparaît. Son poil brun luit au soleil.
Laissons-le à l’ours ! Dis-je enthousiaste. Tu es folle ! Cet animal n’a rien d’une peluche, l’ours le grifferait, l’écraserait sous son poids sinon pire…
Puis, surprise par le rugissement séduisant d’un tigre… Un félin ! Dis-je, Il saura l’aimer, ils sont de la même famille… Le tigre est plus fort, plus sauvage, le petit ne saurait se défendre…L’autre le tuerait !! Me répondirent tous.
Soudain, un chat noir vint vers nous en miaulant…Un chat ! Dis-je, oui, lui sera un ami pour le nôtre… Non ! Il le jalouserait, se battrait et le nôtre n’est pas tout à fait un chat…Nous ne savons même pas ce qu’il est !!!
A ce moment j’entendis une voix dans ma conscience :
« Tu n’es pas comme nous »…
Après avoir marché si longuement que nous semblions porter le chemin dans nos corps, le sentier s’ouvrit sur une belle maison blanche dont on découvrit qu’elle était une école.
Dans la cour des enfants jouaient.
Des enfants !!! Eux s’en occuperont ! Oui !!! Me répondirent tous. Enfin heureux, nous approchons le chat et le déposons au sol.
Cependant, à terre il devint, ou se révéla être une grosse mygale laide et triste.
Les enfants se mirent à crier, entre effroi, haine et dégoût. Certains se mirent debout sur les jeux à leur disposition criant à l’aide, les plus effrontés lui jetèrent des pierres. Mais un enfant, gras et vil s’approcha de l’araignée qui ne bougeait pas, et l’écrasa de tout son poids. L’araignée mourut sans se débattre. Le petit garçon revint triomphant vers ses compagnons, reçu tel un héros sous une pluie d’acclamations.
Alors j’entendis :
« Ne suis-je pas comme vous ????...» Cette fois, la voix qui interrogeait une foule méprisante, pleurait.
 
 
La chambre
 
Depuis la forme des murs où je coule mon âme, mon corps lové dans les draps dessinant des vagues à la lumière intime de la lampe, je couvre mon être de silence, je couve lentement ma solitude.
Le désir naît-il de l’angoisse d’être ? Et son absence, d’une peine insondable et sans raison… Il y a eu tant de chambres, et la même solitude, au-delà des valises, du clair-obscur de la nuit dans la chambre, de l’obscurité dans son être, tant de chambres au bout des rues, au sommet des escaliers, des immeubles, quelque part toujours cet espace assez petit mais parfait pour vivre et puis y laisser un peu de soi après soi. La chambre...Comme un cocon, une coquille d’où l’on ne s’en va jamais vraiment, imitant le corps, où l’on se recompose un visage, où l’on reconstitue le masque avant de sortir, et de rencontrer d’autres visages, eux aussi, portant les traces de l’expérience de la chambre, et tout au fond des yeux, criant une solitude sans mot, cernée et dessinée par la lampe au pied du lit, renversée dans une mort sans cesse rejouée, simulant le sommeil éternel.
 
 
Le bruit dans la bassine et les gouttes qui tombent dans ma tête
 
 
Je ne fais qu’écouter ce qui se passe autour, je ne veux rien interrompre. On gratte du papier, quelque chose s’écoule dans une bassine, et les gouttes tombent au fond de ma tête, comme si j’étais devenue le récipient des choses, comme si j’étais là pour accueillir ces hasards guidés par l’absurde quotidien. Je regarde les cadavres de cauchemars écrasés sur le mur, les cafards aux corps luisants et gras, aux antennes invisibles et mobiles, j’épie les rats au bas de l’escalier. J’ai des réflexes de chasseuse et de proie, je veille et me cache. Tout va dans un sens parfait, minimaliste pour continuer lentement sur le chemin du ver, pour continuer de se hisser, de se traîner vers la sortie, ne pas trop sortir non plus, pour enfin, aller vers les canaux qui mèneront, qui sait, vers la mer…

- Aurélia Menninger - Les passeuses
Tag(s) : #Aurélia Menninger, #Dans mon grenier
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