En gravissant la montagne, je m’approchais progressivement d’une âme
qu’il me semblait connaître.
Épuisée d’avoir déjà commencé à marcher
Je continuais,
les mots sur la route montrant des obstacles à dépasser.
Jamais je ne me suis arrêtée
Jamais je ne me suis retournée
Jamais je n’ai pensé que je pourrais redescendre,
je n’en avais aucun désir.
Je frôlais des images qui me paraissaient refléter
une vie intérieure que j’ignorais en les trouvant belles, de loin.
J’apprivoisais des vertiges, l’espace se déployant sous mes pas, sur un chemin formant courbes et arabesques,
comme une spirale d’air et de lumière,
une volute de tissu léger dont j’aurais été le tailleur.
Je rencontrais des pensées susurrant mon nom sur mon passage qui dans une jolie voix cristalline faisaient écho à mes pensées...
Je conjuguais les chants qui effleuraient mon âme et la musique intime qui animait mon corps dans son ascension...
Je ne me sentais déjà plus ni terrestre ni aérienne, mais en-dehors comme si l’espace et le temps avaient fait naître ensemble une nouvelle dimension dont j’étais et le témoin et le créateur...
Les chemins que j’empruntais, les sentiers que j’arpentais, étaient des phrases en écriture, des interrogations ou des expressions ondulant au fil de ma course...
Je ne savais plus si j’arriverais un jour au sommet
Mais je me laissais guider, comme hypnotisée par une phrase sans point qui se serait répétée à l’infini dans mes veines avant d’atteindre mon âme...
L’ascension devenait difficile
Les poings fermés, je décidai de continuer
Il me fallait arriver au bout de cette course,
d’intuition je savais que je ne pourrais plus reculer.
« J’irai jusqu’au précipice et je sauterai... », me dis-je, persuadée que la seule issue était que la montagne s’arrête elle-même avant que je n’atteigne son extrémité
Je rêvais que la montagne me parle, qu’elle me raconte l’histoire de cette pierre immense, formée il y a des siècles, forgée par le soleil, le vent, la pluie, les désespoirs,
qu’elle me confie sa peine, née dans la pierre blessée de toutes les pensées effritées des âmes venues y pleurer.
Je rêvais de cette amie, géante et fragile, qui m’aurait gardée dans son corps de pierre jusqu’à ma chute...Je rêvais d’être médusée dans le rocher, arrêtée ainsi dans ma course éternelle vers moi-même.
Je rêvais d’être la montagne, de porter la robe de pierre, d’être la géante de silence et d’observer les solitudes égarées depuis mon sommet si convoité...
Je rêvais que mes pensées s’écroulaient une à une, tombant de la montagne et que je devais les ramasser, une, à une.
La montagne ne s’est jamais penchée pour me parler
Jamais je n’atteindrai son sommet.
La montagne a disparu dans le brouillard, alors que j’avais oublié
pourquoi je la gravissais.
Un vent de colère avait fait tomber des larmes de pierre
Alors
j’ai vu les phrases se tordre
les pensées chuter dans le vide
et les mots tomber dans l’oubli.
Aurélia Menninger