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La ville où j’entre en passeuse

 

 
La ville où j’entre en passeuse

 

Sur la route de pierre, je traîne le gris de mon âme, rasant le corps friable des murs de la ville. C'est elle qui pleure comme elle perd sa peau d'eau, des larmes de papier aux gémissements de mort, c'est elle qui refuse l'écriture du temps dans ses veines aux traînées d'orages, aux labyrinthes de lueurs molles et lentes, aux couloirs coulés mouillés de tristesses passées.

Je suis la passante, la patiente, la passeuse de mémoire, l'infirmière et le fantôme au pied du jour, je vis là, au seuil du mystère, j'erre entre les pierres, je vais vent et figure d'ombre entre les choses et l'invisible, je trompe l'instant quand la pluie me dérobe la lumière. Je frôle le monde mais je sens ce qui s'absente.
 

J'enroule sur mes épaule le rôle du mon être perdu, et j'enfouis la toute petite vieille en moi qui pleure comme un chat noir au fond de mon ventre. Je diminue la musique qui s'enfle dans ma tête et dicte des pensées-fleurs à mon âme pour cesser de souffrir. 

Je souffre. Ce n'est la faute de personne. Le monde existe avec violence, et je ne reçois que son impossibilité, on me dit qu'il est là, alors je laisse ce corps se glisser dans l'inconnu et vider sa carcasse dans un état de rêve. Somnambulante, je trouve les traces d'un langage oublié, une nostalgie douce comme une plainte aux teintes patinées, je suis. De suivre. D'être? Que reste-t-il? Le corps est bien vivant, je perçois son dessin dans le reflet du miroir, et ressens sa folie dans sa chair changeante. Je modifie sa force, son épaisseur, sa substance. Je ne sais comment influer sur la couleur de sa réalité intime, ce qui l'anime. 

Vile, sale, la solitude. Il y a le corps, ce corps de moi, mon corps, devant l'autre corps, de la ville. Il n'y a que des corps, des successions perdues de corps, entre eux : l'abîme. Il y a l'amour, vagabond, beau brouillard, fausse caresse sur la ville. Il y a le chant délavé des malheureux pris entre les corps. Semant une panique angoissante au sommet du désir. Il y a ce qui ne finit pas d'être, des mots prisonniers de corps en suspens, des signes de corps avant qu'il ne s'agisse du corps véritable, celui-ci existe-t-il? Je n'atteins que par instant ce qui se sent d'un corps, puis je disparais. 

Le mot devine, dérive. Il est le vrai instrument entre nous deux et je monte là où je ne dois pas, il fait froid dans l'antichambre, je me ronge de chagrins. Je suis folle, sensationnellement. Je pense à mon psy-carnalyste qui me fait asseoir sur la chair du vide englobant et soulève la peau de mes questions où il touche le piano des couleurs. Il dit avec ses mots de sang ce que la rose tait. Il dit que l'eau des fleurs est larmes de crocodiles, il dit et j'écoute. Je veille sa conscience. Je joue du silence de prose entre mes mains fêlées de demoiselle de porcelaine.

 
 
Aurélie Menninger - Extrait "Les Passeuses"
 

 
Tag(s) : #Aurélia Menninger, #Dans mon grenier
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