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J'ai beau noircir des pages et des pages, jamais je ne retrouverais la couleur noire de sous tes ongles. C'était du tabac, de la terre, de la poussière. Tout ce que la misère agglomère et fait chair autour de soi. Les toilettes en voleur dans les cafés n'empêchaient pas tes ongles de pousser et avec eux cette ligne sombre. Mais ne plus être propre, ne plus avoir ce droit, c'est le cauchemar de tout homme. Alors tu les rongeais jusqu'au sang. Tu fouillais dedans avec tout ce que tu trouvais : bout de bois, morceau d'alu, lame de couteau... Tu charcutais jusqu'à l'os, mais la couleur s'en foutait. Elle revenait, inlassable et constante.
Aux entrées des parfumeries, il y avait toujours un vigile pour ne pas laisser passer les mômes comme toi, ceux qui ne peuvent pas montrer patte blanche. Dans les petits supermarchés, par contre, tu pouvais te faufiler. Rayon "hygiène du corps". Des étagères entières remplies d'eau de Cologne. À l'abri des regards, tu débouchais un flacon et en versais un peu au creux de ta main. Tu frottais, à t'en arracher la peau. La brûlure montait, mordait chaque égratignure et ça faisait mal. Mais, même bon marché, l'absolution a un coût. Le noir ne disparaissait pas, mais devenait propre pour quelques heures. Et comme rien ne s'en allait jamais, avant de refermer le flacon, toi aussi tu buvais. Une grande rasade de cet alcool qui efface et pardonne.
Cécile Schouler