A MONSIEUR DE MAUCROIX
Je ne puis te rien dire de ce que tu m'as écrit sur mes affaires, mon cher ami; elles me touchent pas tant que le malheur qui vient d'arriver au surintendant. Il est arrêté, et le roi est violent contre lui, au point qu'il dit avoir entre les mains des pièces qui le feront pendre. Ah! s'il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis, d'autant qu'il n'a pas, comme eux, intérêt d'être injuste. Mme de B.* a reçu un billet où on lui mande qu'on a de l'inquiétude pour M. Pellisson** : si ça est, c'est encore un grand surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami; t'en dirais beaucoup davantage si j'avais l'esprit tranquille présentement; mais, la prochaine fois, je me dédommagerai pour aujourd'hui.
.... Feriunt summos Fulmina montes.
* Mme de B. : Mme de Bellière, amie et confidente de Nicolas Fouquet
** M. Pelisson : Secrétaire de Nicolas Fouquet, il est embastillé en 1661 suite à la disgrâce de son maître. Il reste incarcéré quatre ans, ayant refusé de renier Fouquet et rédigé un Discours au roi, par un de ses fidèles sujets sur le procès de M. de Fouquet puis Seconde défense de M. Fouquet en sa faveur. Libéré en 1666, il devient historiographe du roi. Son abjuration en 1670 lui obtient de riches bénéfices ecclésiastiques.)
A FOUQUET
Paris, ce 30 janvier 1663.
MONSEIGNEUR,
J'ai toujours bien cru que vous sauriez conserver la liberté de votre esprit dans la prison même; et je n'en veux pour témoignage que vos défenses: il ne se peut rien voir de plus convaincant, ni de mieux écrit. Les apostilles que vous avez faites à mon ode ne sauroient partir nou plus que d'un jugement très solide et d'un goût extrêmement délicat. Vous voulez, Monseigneur, que l'endroit de Rome soit supprimé ; et vous le voulez, ou parce que vous avez trop de piété, ou parce que vous n'êtes pas instruit de l'état présent des affaires. Ceux qui vous gardent ne font que trop bien leur devoir. L'exemple de César étant chez les anciens, il vous semble qu'il ne sera pas assez connu. Cela pourroit arriver, sans le jour que les écrivains lui ont donné : ils ne manquent jamais de l'alléguer en de pareilles occasions. Je m'en suis servi, parce qu'il est consacré à cette matière. D'ailleurs, ayant déjà parlé de Henri IV dans mon élégie, je ne voulois pas proposer à notre prince de moindres modèles que les actions de clémence du plus grand personnage de l'antiquité. Quant à ce que vous trouvez de trop poétique pour pouvoir plaire à notre monarque, je le puis chauger en cas que l'on lui présente mon ode ; ce que je n'ai jamais prétendu. Que pourroient ajouter les Muses aux sollicitations qu'on fera pour vous? car je ne doute nullement que les premières personnes du monde ne s'y emploient. J'ai donc composé cette ode à la considération du Parnasse. Vous savez assez quel intérêt le Parnasse prend à ce qui vous touche. Or, ce sont les traits de poésie qui font valoir les ouvrages de cette nature. Malherbe en est plein, même aux endroits où il parle au Roi. Je viens enfin à cette apostille, où vous dites que je demande trop bassement une chose qu'on doit mépriser. Ce sentiment est digne de vous, Monseigneur; et, en vérité, celui qui regarde la vie avec une telle indifférence ne mérite aucunement de mourir : mais peut-être n'avez-vous pas considéré que c'est moi qui parle, moi qui demande une grâce qui nous est plus chère qu'à vous. Il n'y a point de termes si humbles, si pathétiques et si pressants, que je ne m'en doive servir en cette rencontre. Quand je vous introduirai sur la scène, je vous prêterai des paroles convenables à la grandeur de votre âme. Cependant, permettez- moi de vous dire que vous n'avez pas assez de passion pour une vie telle que la votre. Je tâcherai pourtant de mettre mon ode en l'état où vous souhaiterez qu'elle soit; et je serai toujours, etc.