A l'amorce de la syncope
les ailes brisées
commandent
ou infirment
le dernier envol
indicible angoisse
avant l'affalement
certes
on mourra
mais
de quel pied?
impitoyable leitmotiv :
sera ce à gauche
que s'initiera la chute
sur le toboggan
des déjections terminales
ou à droite
dans de mêmes puanteurs
tango
aux tempes glacées
foutu tango
le sais-tu
dis-nous les augures
qui ouvrent la porte
car
déjà ça remue là-haut
on dirait
que le ciel d'ordinaire si vide
se prépare à la fête
des meubles
de lourds bahuts
glissent sur un parquet
tout frais briqué
ils vont viennent
cherchent
la place la plus avantageuse
si les festivités s'étirent
ils somnoleront
la grande maison
baigne dans un panaché
d'odeurs de cire de lessive
de térébenthine
les dernières pièces convoitées
de ce jeu vernal
se disputent à coups de balais
l'agitation croît
j'entends des cris
des rires des pleurs
des enfants jouent
au comble de l'effervescence
les couleurs se mettent à flamber
de premiers migrants s'annoncent
quelques nuages détalent à vive allure
la grèbe à grands coups d'ailes
godille dans l'air lourd
un vol d'outardes la rejoint
en klaxonnant
c'est printemps
vers le couchant
une question rougeoie
de quel enfant terrible
ce ciel va t' il accoucher
que répondre
les grands tambours de guerre
obstinément scandent
ce que veut l'homme
écraser sous son talon nerveux
ce qui jour après jour
le hante et le tue
homme harassé cousu de balafres
avec dans les yeux
indicible
le sommier de l'horreur
des saisons qui saignent
se risquera t' on à lui refuser la danse
des bras des poings menacent le ciel
la décision est faite
sitôt le lieu envahi
les premiers pas s'esquissent
irrépressibles
ô dieux des gigues et des bourrées
faites qu'il dansent
et accompagnez les
qu'enfin s'effacent
des visages avinés
les rides de la lente usure
que paysans des terres arides
ouvriers des inhumains labeur
femmes porte-faix
avec l'archet réconcilient
leurs faces de violons cassés
bénites mille fois soyez
fanfares taurines cruelles
qui officiez dans les arènes
ce soir la foule criera justice
on garotera les pasodobles arrogants
bonne justice
pour qui sait
pour qui se souvient
nous danserons tangos lubriques
et javas obscènes
nos poèmes s'écriront
dans les espaces vides
de la tarlatane
dont se font les livres
qui comptent
quant à vous
électriquement conçues un soir d'orage
giflée par les nuées
mordues par les tempêtes
vous
déesses des pulsions
des mains qui s'égarent
des frictions
sexe à sexe
ventre à ventre
ouvrez à deux battants
dansons sur les berges des fleuves
qu'ils nous emportent au large
nous perdre
et à satiété téter
les douces baleines blanches
leur dérober
un peu d' ivoire des fanons
pour qu'un facteur de pianos habile
restaure aujourd'hui
l'instrument idéal des abysses
dansons
la gigue autour des sources
la gigue
sans mesure ni crainte
et la bourrée
au pied des cascades lumineuses
tandis que le hautbois déchirera
le parchemin
trop sec de nos coeurs
nous voulons tanguer
qu'importe si épuisés
au bout de ce tango
nous trouvons notre propre fin
tanguer quoi qu'on dise
comme tangue
pour qui sait voir
la mort
dans les hanches de la vie
la mort dans les hanches des filles
tanguer
comme tangue l'infini
comme tangue l'intangible
et que de la mêlée
nous surgissions
hussards blêmes
gueules cassées
d'un autre temps
autre lieu
bras dessus
bras dessous
la folie par la taille
que les hommes débraguettés
pissent aux étoiles
les femmes debout
dans leurs cotillons
qu'ensemble célébrant l'obscène
toute impudeur absente
ils roulent au ruisseau
pour y laver
leurs corps neufs
pareils aux vôtres
pareils aux leurs
pareils à tous
ô dieux
Christian Erwin Andersen