Dans le texte de la Thora, lorsque Moise est appelé à partir en Egypte pour libérer le peuple Hébreu, il est dit dans l’Exode Ch 4 verset 20:
«Il a pris sa femme et ses deux enfants, il les a fait chevaucher l’âne, et s’est mis en route pour l’Egypte.»
A propos de ce texte Rachi, un commentateur de la bible qui vécu à Troyes dans l'aube au 12 ème siècle cite un midrash, une explication, qui est la suivante:
- cet âne qu’emmène Moïse, cet âne là, n’est pas n’importe quel âne… il s’agit de l’âne d’Abraham lorsqu’il emmenait son fils sur les lieux du sacrifice. Mais il s’agit aussi de l’âne sur lequel viendra le Messie. Alors, ce verset pose un problème.
Dans une école juive, le professeur d’une classe de CM 2, explique ce verset. Un enfant lève la main et demande: Monsieur, où se trouve cet âne? -On ne sait pas très bien répond le professeur mais il est quelque part! Mais monsieur dit l’élève comment se fait-il qu’un âne puisse vivre aussi longtemps depuis Abraham jusqu à la venue du messie?
Le professeur ne s’est pas démonté et lui à répondu que c’était un miracle, que c’était un âne miraculeux… Bien sur, l’élève n’a rien dit, mais il n’était pas satisfait de cette réponse.
Et bien, si ce professeur avait connu l’enseignement du Maharal de Prague il aurait sûrement donné une autre réponse.
Les sages, dit le Maharal, n’ont pas parlé d’une façon matérielle, mais d’une façon spirituelle, c’est à dire, leur expression, la façon dont ils se sont exprimés, ne concerne pas des faits, mais en parlant de faits matériels ils veulent dégager la signification spirituelle de ce fait.
Ils le disent, par conséquent, dans un certain langage qui était connu lorsque les sages discutaient entre eux dans leur yeshiva… et ce langage était un langage particulier, que tous les sages connaissaient sans avoir besoin de l’expliquer.
Langage des branches puis langue des oiseaux on a finit par oublier ce langage, on n’a plus compris ce qu’ils voulaient dire. C’est un langage perdu…
Il faut donc retrouver le sens profond de cette langue prophétique pour comprendre ce que les sages du talmud voulaient dire. Lorsqu’ils parlent de l’âne, par exemple, il faudrait savoir ce qu’ils veulent dire.
Il ne s’agit jamais d’un fait. Ils n’ont jamais pensé que cet âne existait quelque part et qu’il était en même temps celui d’Abraham, celui de Moise et celui du messie.
Qu’est ce que c’est que cet âne qui aurait le mérite de vivre aussi longtemps?.
Les sages en parlant ainsi veulent nous donner une idée, une explication qu’il s’agit de comprendre.
Lorsqu’ils parlent de l’âne il ne parlent pas de cet animal avec des grandes oreilles qu’on ridiculise habituellement. Mais le mot âne (hakhamor en hébreu) a le même radical que le mot (khomer) et Khomer, c’est la matière…
Donc quand le texte parle d’un âne, en fait ce n’est pas d’un âne qu’il parle mais de l’idée de ce qu’est la matière.
Le problème du rapport à la matière est un problème capital.
Pourquoi?
Eh bien parce que dans la réflexion philosophique, si nous acceptons que ce qu’on nomme dieu est un être immatériel, le problème essentiel qui se pose est d’où vient la matière ? Si Dieu est spirituel, uniquement, comment se fait-il qu’il y ait la matière ? D’où vient elle ? Cette question du rapport entre le matériel et le spirituel s’est posé tout au long de la philosophie.
Quel doit être notre rapport à la matière?
Il faut considérer que dans l’histoire des idées, l’humanité d’une manière générale s’est d’abord prosternée devant la matière. La matière existe, le spirituel, on ne le voit pas.
Par conséquent la tendance première est de dire quoi ? Ce qui existe vraiment c’est la matière… l’idolâtrie au fond c’est se prosterner devant des idoles, devant des statuettes, donc de la matière.
Plus tard avec le progrès de l’humanité nous avons abandonné les statues des idoles mais l’idée est restée la même. On se prosterne toujours devant la matière.
Voyons, par exemple, l’idéologie récente du communisme et du marxisme, qui était le matérialisme historique : Qu’est ce qu’elle dit ? L’histoire fonctionne d’après les règles de la matière et non celles des idées spirituelles qui ne sont qu’une illustration, un épiphénomène de la matière et pour le marxisme en particulier qu’est ce que c’était que la matière, c’était l’économie, la loi du marché, et par conséquent le matérialisme historique signifie que l’histoire fonctionne, en fonction de l’économie. C’est à dire d’une réalité matérielle.
Les grandes idées, disait Marx, ne sont que le résultat d’une confrontation de l’économie et du marché.
Le prolétaire est asservi parce que l’économie l’asservit, et lorsque nous aurons résolu les problèmes de l’économie nous aurons résolu tous les problèmes… il s’agit là d’une «matérialisation», qui fait de la matière une divinité existant seule.
En face de cela il y a une deuxième position qui est exactement inverse où on nous dit que la matière n’est qu’ illusion et que seul compte le spirituel. Certaines croyances méprisent le corps et les biens matériels.
Dans la philosophie du kabbaliste, la matière n’est pas tout, mais elle n’est pas non plus, rien du tout.
Le but de la matière est d’être chevauchée (du verbe RaKhoV qui veut dire chevaucher, gouverner), la matière est un moyen permettant d’arriver à un but, c’est un instrument qui doit nous permettre de développer la spiritualité.
C’est à dire qu’il faut donc ne pas laisser la matière être une divinité, mais qu’il ne faut pas non plus laisser la matière se dissoudre et disparaître, qu’il faut se servir de la matière comme d’un moyen de transport, exactement comme le cavalier chevauche sa monture pour arriver à destination.
Cette idée de ne pas considérer la matière comme quelque chose de capital mais comme un moyen nécessaire pour atteindre le spirituel à été illustré pour la première fois dans la Bible par Abraham…
En prenant l’âne pour se rendre au pied de la montagne où il doit sacrifier son fils Isaac, le texte dit qu’il chevauche son âne pour se rendre au lieu d’accomplissement de la volonté divine. Il s’est servi de la matière symbolisée par l’âne pour atteindre le but.
Mais Abraham était un individu. C’était une action individuelle. Ce même phénomène va se reproduire à une dimension collective quand Moïse va prendre son âne pour se rendre en Egypte afin de libérer le peuple hébreu et de l’emmener vers un but. Et ce but sera de témoigner que la matière est une préparation pour atteindre un but spirituel.
Enfin, la tradition juive dit qu’un jour viendra où cette expérience qui chez Abraham était individuelle, qui après la sortie d’Egypte était collective du peuple juif, cette expérience sera universelle et concernera toute l’humanité à l’arrivée du Messie… et c’est pourquoi il est écrit que le messie sera un homme humble chevauchant un âne, sachant que cet âne pourrait aussi bien être une bicyclette qu’un hélicoptère.
Il s’agit donc bien du même âne pour Abraham et pour Moise et pour le Messie, mais d’une manière spirituelle et non pas physique, matérielle. Et en allant encore plus loin, à chaque fois que ce mot âne apparaît dans la bible, il est question de la matière…
Dans la tradition biblique l'âne représente la patience, la compréhension des choses, le travail obstiné et la paix. Au point qu'on a accusé les Hébreux d'adorer l'âne ou de l'avoir adopté comme animal totem, tradition qu'ils auraient hérité du séjour en Egypte.
L'âne de l'ancienne Egypte était assimilé aux forces obscures de l'ignorance et il était dédié à Typhon-Set. L'âne était aussi l'image de l'homme profane, l'homme de la glèbe qui n'a pas quitté son lieu de naissance (allusion à l’injonction faite à Abraham: «vas vers toi même») et qui n'est pas initié aux mystères des dieux. L’arrivée du Messie sur un âne signifie que l’humanité est prête à s’élever spirituellement, à être initiée…
(Ce texte est la retranscription d'une étude, d'un enseignement dispensé par un rabbin dont j'ai oublié le nom, qu'il veuille bien me pardonner.)