Cette nuit, tu m'as dit :
"Une matrice nous enveloppe tous deux, qu'allons nous devenir ?"
Nous aurons du devenir partout où il nous en manquait. Tu inventes ce quelque chose de nos vies qui ne savait pas s'y prendre avec les occasions de changer la vie. T'en souvient-il ? Nous nous sommes attirés par aimantation chancelante, maladresses magnétisées. Nos désirs aussi se fourvoyaient, comme des débutants. Rien de tel pour s'agglutiner d'émotion autour d'un bruit à nul autre pareil, ce son inégalé qu'émet l'amour lorsqu'au lieu de parler de ce qu'il sait déjà, il parle de ce qu'il en a oublié. C'est la condition de son aurore. De cette aurore il n'aperçoit la fin, c'est en elle, et par elle qu'il refuse de vieillir. Bâtir l'amour, comme si c'était une première fois dans notre histoire, cette idée est bien un idée, c'est plus que ça : une gageure de chair et de sang, un pari sexué et pas seulement, un désir qui s'étendrait au-delà de ses bornes, jusque dans l'inconnu lascif de ces organes dont d'habitude le rôle n'est pas d'aimer ou de se faire aimer. Ils sont seulement utilitaires. Et maintenant on dirait qu'ils prennent leur part de nos enlacements.
Vous êtes venue de toutes parts et de nulle part me déloger de moi, traverser mon impasse, l'ouvrir vers le grand large. Et maintenant, chaque jour, je m'abats en vos pentes chaudes, entre vos formes douces et je vois dans vos lèvres l'accès à l'infini. Ma joie sans précédent, c'est votre innovation, je suis votre fidèle, hors de vous point d'attaches, point d'autre concurrence que la femme que vous êtes en ses métamorphoses, pourvu qu'elles soient d'amour, de cet amour que vous et moi nous disons, nous faisons à n'en plus savoir qui nous sommes vraiment, comme si notre identité, délicieusement, se grisait à l'idée de nous rendre méconnaissables à nous mêmes.
Ma main tremble à vous écrire tout cela. Ma main vous transperce d'amour pour vous écrire, et au bout, elle tremble avec le tremblement des mots. En écrivant ma main vous cherche encore alors qu'elle vient de vous traverser. Ma main voudrait sauter des pages vierges de vous pour remplir votre peau de ses cantiques à venir. Mon écriture m'embarque vers votre archipel intime, mais par quelle île commencer en vous quand c'est pour toutes que j'ai quitté le port, et laissé derrière moi mon passé d'éclusier. Je jouis, j'interroge le ciel, mais en baissant les yeux, car ce ciel a chu en vous, qui en raflez les astres, le jour, et la nuit les taillez, lorsque s'ouvrent vos nymphes, se ferment vos paupières et que je m'éblouis de votre jouissance. Mon jouir n'est rien s'il n'est le fruit du vôtre, s'il n'a su être ce mélange de terre, d'eau, et de feu dont votre ventre est fait et attend de l'amour sa cuisson. Mon plaisir est le portier tantôt ivre et tantôt angoissé de votre désir.
Je vous aime avec le brio propitiatoire des pauvres en raison, riches en inspiration. J'ai l'air de vous aimer à tâtons, en ratant des marches, au mépris des rampes, et pourtant si vous saviez comme est inflexible mon ouvrage d'amour de vous. Ses approximations sont plus dures que la pierre, plus stables que les équilibres, plus belles que les fleurons du compagnonnage. Vous m'obligez à l'indicible accord.
"Nous amants, au bonheur ne croyant" - Marcel Moreau