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MARIE-GALANTE - Guy Tirolien

Est-ce ivresse déjà que vos rhums m'ont versée,
ou si c'est la magie du pays retrouvé ?
Voici gronder en moi, sourdement, sourdement,
tous les volcans de mon passé,
et voici s'épanouir, pâles fleurs explosant parmi la paix du soir,
tous les fantômes qui furent moi.

C'est ici qu'une erreur guida leur caravelle,
et que beaucoup moururent sous les mancenilliers
d'avoir voulu gouter à la douceur des fruits.
L'or qu'ils venaient chercher, ils ne l'ont point trouvé.
Mais moi, je suis venu pour faire pousser de l'or,
je ne me rappelle plus d'où,
Un jour, je suis venu pour faire pousser de l'or,
je ne me rappelle plus quand.
Et dès le pur matin sifflait le vol des fouets,
et le soleil buvait la sueur de mon sang.

Si je riais en ce temps là ?
O ces yeux que dans l'ombre allumait le tafia !
O nos muscles, le soir, retrouvant leur vigueur !
Les soucougnans glissaient dans le coeur de la nuit.
Des incendies parfois ravageaient les rhumeries.
D'étranges punchs flambaient,
réchauffant le sang vert des mares endormies.
Des prêtres sans soutane dansaient la bamboula;
et les nonnes sanglantes pleuraient leurs seins coupés.
En ce temps là, qui fut le temps de la violence,
les aubes se levaient dans des ciels de nausée.

Depuis vint la douceur, depuis vint la rosée.
Mais si fugaces, hélas, et de quels prix payées !
O soeur de mon printemps, te souvient-il
de mon départ ?
de ces wagons bruyants et taciturnes
que hantait l'odeur fade de nos morts en sursis et du vin répandu ?

Te souvient-il
des aveux mensongers de ta frêle romance ?
Le refrain s'est brisé dans le fracas des bombes.
Seuls dans les ténèbres où tout s'est écroulé,
et perles dénouées jetées à quels pourceaux ?
Seuls scintillent à vif
    les éclats de ton rire
d'or naïf.

L'homme alors m'approcha, et son parler fut bref :
Dépose là ta race, ton passé, ton pays ;
et ne fais pas musique
de la souffrance humaine,
camarade.

En diamant de feu,
pour le plaisir des yeux,
n'aiguise pas l'injustice,
camarade.

Tiens, voici mon marteau :
nous briserons ensemble les idoles pourries.
Et voici ma faucille,
nous couperons ensemble les blés déjà levés.

La foudre de  ces mots dans mes deux poings fermés
vers nos frères méconnus par l'Europe sereine,
un jour je suis parti.

Sur l'écorce ridée des idoles barbues
mon marteau s'est brisé;
et ma faucille s'est usée
sur les silex moussus des préjugés de sang.

Me voici nu, revenu sur le sol nu,
où plongent les racines de mes plantes anciennes,
et dans ma tête chevelue
s'éveille le ramage des images feuillues,
et sur l'azur menteur de la mer Caraïbes
Voici monter en moi
la puissante marée
des souvenirs qu'on ne tue pas.

Tag(s) : #Dans mon grenier, #Guy Tirolien
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