Dans un village en ce soir de septembreJ’ai vu un vieux paysan qui pleurait.Un soleil rouge achevait de descendreA l’horizon derrière la forêt.Dans l’autocar arrêté sur la placeLe vieux avait installé son garçonEt l’autocar avait repris la traceQui l’entraînait — vers quelle garnison ?La garnison étape vers la guerreLa garnison étape vers la mort —Le jeune gars regardait vers son pèreQui regardait et regardait encor.Le jeune gars s’en allait pour la guerre :Que savait-il de guerre et de combats ?Des mots, des mots, et qu’il n’entendait guère.Il reviendrait ou ne reviendrait pas.Au paysan, à l’ouvrier des villesEn nul pays on n’enseigne cela.Le vieux debout demeurait immobile.Il regardait, et son fils s’en alla.Il le suivait dans cet obscur voyageIl ignorait que des larmes coulaientDans les sillons qui creusaient son visage,Il demeurait et son fils s’en allait.Bien loin déjà dans le sombre voyageLe fils roulait bien au delà des bois,Le vieux voyait aussi le vieux village,Il le voyait pour la première fois.Il découvrait l’église et la mairieOù l’on avait inscrit leurs noms jadis,Il découvrait les champs et la prairieQu’hier encor débroussaillait son fils.Il découvrait la route et la rivièreIl découvrait le bien quotidienIl découvrait le ciel et la lumièreIl découvrait qu’il ne connaissait rienQue jusqu’alors tout le bonheur du mondeAvait passé sans qu’il l’eût aperçuEt ce soir-là tout le bonheur du mondeIl découvrait qu’il l’avait toujours su.Dès son premier regard sur ce vieux mondeIl découvrait qu’il avait inventéTout le bonheur et le malheur du mondeQu’il commençait ce soir à regarder.
1939, Marcel Martinet